Vivant, écologie et politique

Les besoins du vivant et la préservation des équilibres écologiques sont des impératifs primordiaux, trop essentiels pour en laisser l’organisation exclusive aux hommes politiques, aux technocrates et aux législateurs, dont les compétences et la légitimité dans ces domaines sont limitées.

Les décideurs sont conseillés par des experts, mais ceux-ci sont fréquemment liés aux lobbies industriels et aux méthodes conventionnelles dominantes, et pour ces raisons, leurs motivations peuvent être divergentes de l’intérêt public. De plus, les experts ont une vision de spécialiste, focalisée, qui n’intègre pas une analyse globale et réaliste des enjeux, le bon sens, la simplicite, l’efficacité et l’économie. Enfin l’expert officiel, issu des méthodes conventionnelles est, par sa formation et son expérience, étranger aux alternatives, qu’il ne maîtrise pas.

Pourtant les alternatives cohérentes représentent des solutions adaptées pour répondre aux problématiques d’aujourd’hui et de demain. Les cadres réglementaires européens ou nationaux les éliminent d’emblée, puisque par définition, une alternative est une méthode différente de la méthode officielle et conventionnelle, et qu’elle ne rentre pas dans les cadres administratifs.

De larges consultations des organismes et syndicats représentant les professionnels de terrain et les citoyens devraient être pratiquées dans les domaines qui touchent à l’alimentation et la santé, afin de rester au plus près des possibilités pratiques des professionnels et des besoins des utilisateurs, et afin d’intégrer l’évolution de la demande sociétale, qui est forte dans ces domaines liés au vivant. Dans la communauté européenne, cette consultation est inexistante, ou non prise en compte au moment des décisions. Les lobbies représentant les associations et les organisations issues des citoyens ou des usagers ont peu de pouvoir et de moyens, face à ceux qui défendent les intérêts industriels.

Les hommes politiques, pour la majorité d’entre-eux, sont régulièrement critiqués pour leur absence de vue à moyen ou à long terme. Leurs préoccupations sont orientées d’abord par les sondages d’opinion et les prochaines échéances électorales. Leur jugement est fortement inspiré par les lobbies industriels et financiers les plus puissants, avec qui ils ont fréquemment des relations étroites, et qui financent leurs partis politiques.

La demande sociétale, les besoins biologiques et écologiques et les réalités sociales ne sont pris en compte qu’en second choix, la priorité des pouvoirs publics étant de soutenir l’activité industrielle et économique, qui leur apparaît comme primordiale, et de respecter les règles juridiques du business international, organisées par les multinationales et leurs avocats à leur profit exclusif.

La croissance du PIB (Produit Intérieur Brut) reste un critère fondamental de l’échelle de valeur des politiques, alors que la plupart des observateurs critique cette vision des choses, fondamentalement opposée à l’indispensable et urgente transition écologique. Maintenir une croissance exponentielle, non soutenable, est un objectif irréaliste et suicidaire, aucune structure vivante ou population (y compris l’humanité) ne pouvant croître indéfiniment, avec des ressources limitées et dans un environnement fini, déjà saturé avec sept milliards d’êtres humains aujourd’hui, et neuf milliards en 2050. Surtout quand il s’agit de produire et de consommer des biens inutiles, redondants, rapidement obsolètes, et produisant des déchets et des pollutions non maîtrisés. La sobriété, le recyclage et le partage économe des ressources essentielles sont les seules voies d’avenir, même si elles sont douloureuses pour les occidentaux.

Notons que le mythe de la croissance et de la puissance est partagé par de nombreuses multinationales, dont l’objectif est d’être dans le top five ou mieux, leader mondial de leur secteur d’activité. Dans le monde des grandes entreprises, un vocabulaire guerrier est utilisé pour désigner les objectifs et les rachats de concurrents, et pour motiver les salariés et les forces de vente. Ceci sans le moindre recul ni sens critique, comme si ce contexte belliqueux de travail, d’insertion sociale et économique était normal et humain… Dans ces conditions, le respect de l’environnement devient au mieux un argument de vente, destiné à légitimer toujours plus de business. Quant à la prise en compte des impératifs du vivant, elle est hors programme, car elle remet trop de choses en question.

Les décideurs politiques ou économiques n’ont pas intégré ces vérités vitales, ou feignent de les ignorer. D’ici quelques décennies, ils seront probablement poursuivis pour le crime écologique que constituent cet aveuglement et cette inconscience, quand les conséquences des déséquilibres écologiques et du réchauffement climatique deviendront dramatiques et irréversibles.

En tant que biologistes de terrain, nous souhaitons développer dans ces pages quelques aspects importants du vivant, au niveau du bon sens, de la science ou de l’éthique. L’aspect politique de l’impératif du vivant est majeur, par les contraintes biologiques incontournables qu’il impose aux législateurs, et par les incidences économiques réalistes qu’il nécessite.

« Je comprends d’autant mieux la violence sociale depuis que j’ai entendu cette phrase de la bouche même d’un député européen : « Tant qu’aucun politique n’aura été liquidé par la foule, on continuera ». Ce que je dis-là ne constitue pas un encouragement à prendre le fusil, mais à prendre conscience du fait qu’une fraction du pouvoir politique – notamment au niveau européen – est déjà dans un rapport de force extrêmement violent avec la population. »  Gaël Giraud, jésuite et économiste, propos tenus dans Télérama du mercredi  3 avril 2013

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